Condom Cédric / Jean-Yves Le Naour, produit par Emmanuel Migeot (Kilaohm productions), l’ECPAD, Histoire. Documentaire Série (n°2/2), 52 min., 2009.
Les Français n’ont jamais rien vu de la guerre d’Algérie. Ils ont vu des jeeps rouler dans le désert du Sahara, des commandos crapahuter dans le djebel, des populations heureuses d’agiter un drapeau tricolore, des militaires à dos de chameau, des marchés débordant de fruits et de légumes, des paysages à la beauté âpre. Ils ont vu une Algérie de carte postale. Seule la paix leur a éclaté à la figure lors des actualités cinématographiques. Ils n’ont jamais vu de combats mais une armée de paix où les soldats ne se battent pas mais sont instituteurs, médecins, terrassiers ou gendarmes. Les militaires oubliés de l’Indochine, dont les gros plans du réalisateur Pierre Schoendoerffer vantaient la beauté dans l’effort, la sueur et la camaraderie virile, ont cédé la place aux plans collectifs de soldats enjoués et souriants, sorte de colonie de vacances pour grands enfants. 

C’est qu’en combattant le vietminh, en Indochine, l’armée française a découvert ce qu’était la guerre révolutionnaire et les méthodes efficaces de propagande. Elle a compris qu’il n’était pas possible de vaincre sans convaincre, sans avoir le soutien massif du pays mais aussi des populations locales. En créant un bureau spécialisé dans l’action psychologique dès 1955, « véritable Etat dans l’armée » selon Pierre Messmer, le commandement est donc décidé à tout mettre en œuvre pour ne pas connaître à nouveau le drame de Dien Bien Phu.

Il faudra commencer par rassurer les Français, notamment les parents des appelés du contingent que le gouvernement envoie en Algérie à partir de 1956 ; leur répéter qu’il n’y a pas de guerre mais uniquement des « événements », que la besogne des militaires sert la cause de la justice.

Il faudra ensuite convaincre la population indigène de la puissance de la France, de la pérennité de sa présence et surtout de sa générosité. Le choix est simple : la prospérité et la paix avec la France d’un côté, la ruine et la guerre avec le FLN de l’autre. Les musulmans doivent comprendre que leur intérêt est celui de la métropole coloniale et ne pas suivre les mauvais bergers indépendantistes.

Avec cette guerre sans nom, où l’enjeu est le contrôle des populations, le service cinématographique des armées tourne le dos au bricolage et à l’amateurisme pour entrer dans l’ère de la propagande professionnelle, de l’information calibrée, soupesée, préfabriquée. Mais c’est aussi la fin des reporters de guerre, du document pris sur le vif, du témoignage : place à la fiction, à la mise en scène, aux films scénarisés ; place à la communication d’Etat où le narratif l’emporte sur le discursif. Voici la vraie fausse guerre d’Algérie, telle qu’elle a été vendue aux Français de 1954 à 1962.