Aubier Montaigne, 2002, 411 p.

Réédition, collection « historique », Aubier, 2013.

La Grande Guerre porte l'espoir d'une France lavée de l'humiliation de la défaite de 1870 et purgée du péril « pornographique » de la Belle Époque : on fustige la nation des plaisirs et de la dégénérescence, coupable de compromettre la victoire. Et l'on soupçonne en premier lieu la loyauté des femmes - « marraines », adultères, prostituées, infirmières ou employées d'usines-, accusées de corrompre le soldat. Propulsée au cœur du conflit, la morale sexuelle sacralise en effet le « poilu » viril et chaste qui arrachera la victoire au péril de sa vie. Mais elle méconnaît l'immense frustration affective et sexuelle des combattants, et le trouble que provoque le culte de la virilité chez des hommes amoindris par la solitude, le sang et la mort. 


À partir de 1916, le rêve de la régénération laisse donc place à une profonde démoralisation : l'interminable guerre bouleverse le modèle familial bourgeois hérité du XIXe siècle (incompréhension ou séparation des couples, travail des femmes). Cette histoire des mœurs est aussi une histoire de l'exclusion, où l'on voit l'armée et l'État se disputer le contrôle de la population et de ses pratiques sexuelles. Mais elle est surtout une histoire de l'intime, noire, bouleversante et inédite.






Dans la presse

A partir d’un angle d’étude apparemment réduit – les mœurs sexuelles des Français en 1914-1918 – le livre de Jean-Yves Le Naour apporte un éclairage original et stimulant à la Première Guerre mondiale… Jean-Yves Le Naour s’intéresse d’abord à ce qu’il appelle la « guerre moralisatrice ». Il exhume les écrits stupéfiants d’hommes en proie à la crainte de la dégénérescence et convaincus que la guerre sera une expérience collective favorable au renouveau national…La lutte contre la pornographie ou la débauche considérées comme d’inspiration allemande (avant-guerre, on accuse Guillaume Ii d’exporter massivement des préservatifs pour affaiblir la natalité française), les débats sur l’avortement en temps de guerre, le rôle dévolu aux marraines de guerre et aux infirmières sont autant d’aspects étudiés avec soin…La dernière partie ouvre de nombreuses perspectives sur le brouillage des rôles sexuels et des normes, où le poilu, magnifié par les combats, est également fragilisé par un sentiment d’incompréhension et d’abandon de l’arrière. Le mythe de la guerre salvatrice et rédemptrice a vécu, avant de renaître quelques décennies plus tard.

L’Histoire, N°262, avril 2002

Quelle est la place du sexe dans la guerre ? Comment concilier la folie des combats avec les relations intimes ? Quand les armes parlent, la libido devient-elle source de subversion et, si oui, comment réduire ses effets indésirables ? C’est en cherchant à répondre à ces questions que Jean-Yves Le Naour a conçu Misères et tourments de la chair durant la Grande Guerre. Un premier ouvrage culotté, que le jeune historien publie à l’issue d’une thèse de doctorat soutenue en décembre 2000 à l’Université de Picardie. On est pourtant loin du coup d’essai : solide sur le plan méthodologique, l’enquête démontre dès les premiers chapitres – et sans jamais verser dans la vulgarité – une grande maturité doublée d’une incontestable originalité.

Le Temps (genève), 22 juin 2002

Soucieux de distinguer mythe et expérience de guerre, Jean-Yves Le Naour réinvestit la presse, les témoignages des poilus, comme les archives militaires, de manière à faire émerger une histoire tenue longtemps pour impossible, tant en raison du silence des sources que du fait de la réticence des chercheurs à explorer un sujet tabou et marqué par les préjugés de l’après-guerre. Alors que la dimension sexuelle du conflit avait été longtemps réduite à la dénonciation des jouissances égoïstes de l’arrière, Le Naour insiste sur la frustration et la misère sexuelles des poilus, ainsi que sur l’ébranlement des rôles traditionnels qui conduit à l’incompréhension entre les sexes et au raidissement des stéréotypes masculins et féminins.

Revue D’HISTOIRE moderne et contemporaine, juillet-septembre 2003